Une autre grande soirée vendredi à l’Académie internationale de quatuor à cordes de McGill, avec le Quatuor Noga, de France, et le Quatuor Arcadia, de Roumanie. On les avait entendus en ordre inverse la semaine dernière, selon la stimulante formule d’alternance adoptée par l’Académie. Or, on se rappelle que les Roumains avaient alors éclipsé les Français.Cette fois, revirement de situation. Le premier-violon du Noga, sur lequel j’avais exprimé des réserves, s’est enfin révélé à la hauteur du poste de commande qu’il occupe. Dans le Haydn d’entrée, j’accepte même son vibrato un peu restreint, du genre baroque, qui ne dépare pas l’approche collective.En fait, ce Haydn — l’avant-dernier des six de l’op. 33 mais peut-être le premier à avoir été composé — est un pur enchantement. Le Largo, que Haydn demande «cantabile», prend sous les archets du Noga une inhabituelle gravité. Au Scherzo qui suit, et jusque dans le Trio central, le compositeur donne la parole principalement au premier-violon et M. Roturier (c’est son nom) domine la conversation avec un rare humour. Au finale, quelques traits en doubles croches permettent au violoncelle de briller à son tour. Par ailleurs, l’ensemble de la lecture se distingue par d’infimes nuances apportées aux nombreuses reprises d’un même passage, y compris un léger ornement sur un point d’orgue au premier mouvement.Nouvelle surprise avec le premier Quatuor de Ligeti. L’oeuvre est déjà vieille de 60 ans, d’où ce sous-titre un peu naïf de Métamorphoses nocturnes. En même temps, elle reste très actuelle, avec ses couleurs étranges et brusques changements de tempo qui se multiplient à travers 17 petites sections enchaînées totalisant 21 minutes (notre Molinari en prenait 24 en 1998).Je suis dans la partition et reste ébahi: comment ces jeunes musiciens parviennent-ils à se retrouver dans cette forêt de notes et de signes de toutes sortes? Miracle, ils y parviennent! À la section 15, mesures 1037 et 1038, je remarque cependant que de très courts glissandos n’ont pas été joués. Interrogé à l’entracte, l’un des musiciens confirme : ils n’ont pas fait ces glissandos «parce que c’est trop mal écrit». Textuel, sans commentaires.Du Ligeti de 1954, on passe au Bartok de 1934: cinquième Quatuor, 20 ans plus tôt. Ligeti y a repris quelques idées de son illustre compatriote; il a même signé l’analyse qui accompagne la partition du Bartok. Totalisant une demi-heure, l’oeuvre en cinq mouvements adopte la forme bartokienne «en arche»: deux mouvements rapides (les 1er et 5e) encadrant deux mouvements lents (les 2e et 4e) qui, à leur tour, encadrent un mouvement central rapide (le 3e).Attaques vigoureuses, coordination rythmique, dessins identiques répétés aux quatre instruments: le Quatuor Arcadia reproduit fidèlement tous les détails en allant encore plus loin, en leur donnant une inhabituelle dimension expressive. Au Trio du Scherzo central, on dirait des voix humaines. C’est la première fois que Bartok me parle avec une telle éloquence.Encore plus nombreux que la veille, l’auditoire ovationne debout, et bruyamment, les deux jeunes ensembles. Cette véritable fête du quatuor à cordes, ouverte gratuitement au public, se terminait samedi soir avec un «invité spécial», le Quatuor Amaryllis, d’Allemagne, dans Haydn, Schumann et Mendelssohn.
Claude Gingras / La Presse
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